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Comment une pratique marginale du voyage dessine déjà les contours d’un monde post-croissance.
☘️Sur les falaises de Wicklow avec Blue
Blue contemple la mer d’Irlande depuis les falaises irlandaises. Ce croisé husky-eskimo de huit ans possède cette sagesse particulière des races nordiques : une patience face aux éléments, une adaptation instinctive aux conditions changeantes. En cet instant, assis dans l’herbe sauvage de la falaise, il incarne quelque chose que j’explore dans mes récits d’effondrement : la capacité à trouver sa place dans un environnement, à s’y enraciner temporairement sans le dénaturer.
Nous sommes en Irlande pour quatre semaines, gardant une maison et ses quatre chiens nordiques. Les propriétaires, Maxine et David, nous ont spécifiquement invités à venir de France parce que nous avons l’expérience de ces chiens particuliers. Eux-mêmes partis explorer la Croatie avec leur van – comme nous sommes venus en Irlande avec le nôtre. Cette symétrie n’est pas anodine : nous pratiquons tous le même nomadisme choisi, la même quête d’authenticité. Un geste d’hospitalité qui dépasse largement le cadre transactionnel du house sitting classique.
Et si ce que nous vivons ici, dans cette maison face à la mer d’Irlande, était un avant-goût de l’après-effondrement ?
Si le house sitting, loin d’être une simple astuce d’économie de voyage, préfigurait les modes de vie que nos sociétés devront adopter quand les logiques actuelles auront atteint leurs limites ?
Quand voyager devient un acte de résistance
Dans mes nouvelles de la collection EFFONDREMENTS, j’explore des communautés post-catastrophe qui ont développé des « technologies sociales » de résilience : des réseaux d’entraide basés sur la confiance, des systèmes d’échange de compétences, des formes de nomadisme adaptatif. Le house sitting incarne déjà ces logiques.
L’économie de la confiance : Confier sa maison, ses animaux, ses biens les plus précieux à des inconnus rencontrés sur internet relève de l’acte de foi. Cette confiance mutuelle crée des liens qui dépassent le simple service. Avec Maxine et David, comme avec la plupart de nos hôtes précédents, nous restons en contact longtemps après le sitting. Ces relations deviennent un véritable réseau d’amitié international, une diaspora de la bienveillance qui fonctionne déjà à l’échelle planétaire.
L’expertise comme passeport : Notre expérience avec les chiens nordiques nous a ouvert les portes de l’Irlande, comme notre expérience diverse des animaux (chiens, chats, chevaux, lapins, poules…) nous avait menés en Allemagne, Belgique, Espagne et bien sûr en France. Dans mes récits post-effondrement, les personnages traversent les territoires grâce à leurs compétences spécialisées – mécanicien, herboriste, traducteur. Le house sitting révèle que ces dynamiques existent déjà : nos savoirs pratiques deviennent monnaie d’échange dans une économie parallèle du don et du contre-don.
Le polyglottisme par nécessité : Chaque sitting nous force à pratiquer des langues étrangères, à nous adapter aux codes culturels locaux. Cette plasticité linguistique et culturelle, que développent naturellement les house sitters, ressemble étrangement aux capacités d’adaptation que cultivent les voyageurs entre communautés dans mes nouvelles.
Les infrastructures fantômes du tourisme de masse
Pendant que Blue observe les vagues, je réfléchis aux milliers de logements saisonniers qui resteront vides cet hiver en Europe. Airbnb, résidences secondaires, complexes hôteliers : une infrastructure titanesque mobilisée pour des occupations intermittentes. Le tourisme de masse a créé un monde de fantômes – des espaces dédiés exclusivement aux vacances, vidés de toute vie authentique.
Dans mes récits, les communautés post-effondrement réinvestissent toujours les structures abandonnées de l’ancien monde. Elles transforment les centres commerciaux en serres, les bureaux en ateliers, les parkings en jardins. Cette logique de réappropriation créative, je la vois déjà à l’œuvre dans le house sitting : nous habitons temporairement des lieux conçus pour la vie quotidienne, nous les animons pendant l’absence de leurs propriétaires, nous évitons la création d’infrastructures dédiées supplémentaires.
Le house sitting révèle l’absurdité de notre système : pourquoi construire des hôtels quand des millions de logements restent périodiquement inoccupés ? Pourquoi déplacer des masses de touristes quand quelques individus peuvent temporairement habiter les lieux ?
Yves Cochet et les vulnérabilités du voyage
Dans « Devant l’effondrement », Yves Cochet analyse les fragilités systémiques de notre civilisation thermo-industrielle. Jean-Marc Jancovici, dans ses réflexions sur les contraintes énergétiques futures, évoque un « budget carbone » drastiquement réduit : peut-être 4 vols dans une vie d’homme. Mais attention – pas 4 vols pour des weekends compulsifs, 4 vols pour des immersions de plusieurs années, des séjours qui justifient vraiment l’empreinte carbone astronomique du transport aérien.
Cette vision rejoint parfaitement notre approche irlandaise : à l’aller 600 kilomètres de route et 19 heures de ferry pour 8 semaines d’immersion totale – 4 semaines de house sitting prolongées par 4 semaines d’itinérance sur la Wild Atlantic Way. Un rapport temps de déplacement/temps de découverte qui optimise chaque kilomètre parcouru. Et notre consommation d’eau en van — 10 litres par personne et par jour — révèle qu’un mode de vie nomade peut être drastiquement plus sobre que notre confort résidentiel habituel.
Le tourisme de masse illustre parfaitement ces vulnérabilités : dépendance aux énergies fossiles, hypermobilité insoutenable, standardisation des expériences, déconnexion croissante entre les lieux et leurs habitants.
Le house sitting propose l’antithèse de chacun de ces travers :
- Slow travel contre hypermobilité : quatre semaines ici plutôt que quatre destinations en une semaine
- Immersion contre consumérisme : nous vivons le quotidien irlandais au lieu de le consommer
- Réciprocité contre extraction : nous apportons autant que nous recevons
- Local contre global : nous nous adaptons aux spécificités de chaque lieu
Ces pratiques dessinent déjà les contours d’un « tourisme de résilience » compatible avec les contraintes d’un monde post-croissance. Dans mes nouvelles, les voyageurs entre communautés fonctionnent exactement selon ces principes : déplacements lents et délibérés, intégration temporaire, échange de services, respect des équilibres locaux.
Ce que nous apprennent quatre chiens nordiques
Vivre avec Blue, Boone, Cosmo et Yogi nous enseigne des rythmes différents. Ces chiens, génétiquement programmés pour les longues distances et les conditions extrêmes, possèdent une patience que notre époque a oubliée. Ils observent, s’adaptent, conservent leur énergie. Ils incarnent une sagesse de la durée que nous devrons réapprendre.
Chaque matin, notre promenade sur les falaises suit les mêmes rituels : vérification du vent, observation du ciel, adaptation de l’itinéraire selon les conditions. Nous sommes dans la période de reproduction des phoques gris, et leurs silhouettes ainsi que leurs grognements ponctuent régulièrement le paysage marin — une faune sauvage qui témoigne de la vitalité de ces côtes préservées. Cette lecture fine de l’environnement, cette attention aux signaux subtils et aux cycles naturels, mes personnages post-effondrement la pratiquent constamment. C’est la différence entre survivre et vivre vraiment.
L’hospitalité de Maxine et David révèle autre chose d’essentiel : dans leur geste de nous offrir leur propre chambre (alors qu’une chambre, certes plus petite, était disponible), je reconnais cette générosité qui caractérise les communautés résilientes de mes récits. Non pas l’échange marchand, mais le don qui crée du lien. Cette logique de l’abondance partagée contre celle de la rareté accaparée.
Cette logique transparaît dans leur geste de nous offrir leur propre chambre, mais plus encore dans leur invitation récente : « Restez aussi longtemps que vous le souhaitez après notre retour. » Une hospitalité qui transcende le cadre du house sitting pour devenir pure générosité.
Cette ouverture, nous l’avons principalement rencontrée chez nos hôtes anglo-saxons — Irlandais, Britanniques, Américains, Canadiens. Pour eux, nous devenons temporairement des membres de la famille élargie, des invités permanents. Les propriétaires français ou belges, dans notre expérience, gardent une approche plus… transactionnelle. Une différence culturelle qui révèle des conceptions distinctes de l’hospitalité et de la confiance.
La confiance entre nous est totale : quand l’un des chiens est tombé malade, quelques messages WhatsApp ont suffi pour obtenir l’autorisation de l’emmener chez le vétérinaire. Pas de surveillance, pas de micro-management — cette confiance absolue crée des liens qui résistent aux distances et au temps.
C’est exactement ce type de lien social fort que cultivent les personnages de mes nouvelles — ces connexions humaines qui résistent aux effondrements parce qu’elles ne dépendent d’aucune infrastructure externe.
Un réseau mondial qui fonctionne déjà
En écrivant ces lignes, je réalise que nous, house sitters, formons déjà une communauté informelle mais réelle. Nos hôtes de Périgueux, John et Wendy, nous donnent régulièrement de leurs nouvelles et nous invitent dès à présent à les suivre en Angleterre puisqu’ils vont se rapprocher de leurs enfants. Ou comme Alexandra, anglaise en Belgique, nous informant de son déménagement à Londres et nous demandant si nous pourrons la suivre. D’ailleurs lors de notre premier sitting chez elle, nous l’avions « croisée » moins de cinq minutes avant son départ… et nous ne l’avons pas vue à son retour, nous étions partis en laissant les clés dans la boîte à lettres (bien entendu elle nous avait dit de pratiquer ainsi) ! Ou encore, cette invitation pour venir à Vancouver au Canada !
Ces liens créent un véritable réseau de confiance international, une infrastructure sociale invisible mais tangible. Quand tout s’effondrera — quand les compagnies aériennes low-cost feront faillite, quand les plateformes numériques s’arrêteront, quand l’énergie bon marché appartiendra au passé — ces connexions humaines demeureront.
Dans mes récits post-effondrement, les alliances entre communautés naissent toujours de ces relations personnelles préexistantes. Les personnages qui ont voyagé, qui parlent plusieurs langues, qui ont tissé des liens dans d’autres territoires, deviennent naturellement les ambassadeurs, les ponts entre les mondes.
Le house sitting nous prépare déjà à cette réalité : il nous apprend à nous adapter rapidement à de nouveaux environnements, à créer de la confiance avec des inconnus, à fonctionner avec moins de possessions matérielles, à développer nos compétences adaptatives.
Commencer dès maintenant
Yves Cochet insiste sur l’importance d’anticiper l’effondrement plutôt que de le subir. Le house sitting offre cette possibilité d’expérimentation douce : tester des modes de vie plus sobres, développer des compétences de résilience, créer des réseaux d’entraide, tout en gardant le confort de la réversibilité.
Chaque sitting est une micro-expérience de vie post-croissance : consommer local, marcher plutôt que conduire, observer la nature, cultiver les relations humaines authentiques, apprendre de nouveaux savoir-faire. Sans l’austérité forcée d’un véritable effondrement, mais avec ses bénéfices : simplicité, présence, connexion.
Blue, depuis ses falaises de Wicklow, me rappelle que l’adaptation n’est pas une tragédie mais une danse. Ces huit semaines en Irlande ne sont pas des « vacances alternatives » – elles sont un apprentissage de l’après, une formation douce aux modes de vie que l’humanité devra peut-être redécouvrir.
Si cette réflexion vous interpelle, si vous voulez rejoindre ce réseau informel de voyageurs-gardiens, le house sitting vous attend (le lien vous donne droit à une remise de 25% sur l’abonnement annuel, et pour nous une prolongation de deux mois sur notre abonnement). Votre inscription vous donnera accès à ces expériences transformatrices, tout en soutenant économiquement cette alternative au tourisme extractif.
Et vous, comment voyagez-vous déjà vers l’après ?
👉 En savoir plus sur Didier Ramon, auteur français de la série EFFONDREMENTS (À propos)
Mise à jour (14 septembre 2025) :
Quelques jours après la publication de cette réflexion, l’enquête de Reporterre « On a bouffé des terres : les résidences secondaires, un gouffre écologique et social » vient confirmer notre analyse sur les « infrastructures fantômes du tourisme de masse ».
Les chiffres révélés sont saisissants : 3,7 millions de résidences secondaires en France, avec des communes comme Cancale atteignant 41% de logements secondaires. L’enquête documente précisément les impacts que nous évoquions : artificialisation massive des sols (« on a bouffé des terres »), saturation des réseaux d’eau et d’assainissement l’été, conversion de fermes en résidences de loisirs compromettant la souveraineté alimentaire.
Plus troublant encore : ces résidences fantômes génèrent exactement l’hypermobilité que dénonce Jancovici. Leurs propriétaires multiplient les allers-retours (voiture, avion), tandis que les travailleurs locaux, chassés par la spéculation, parcourent des distances croissantes pour rejoindre leurs emplois.
Face à cette dérive, des communes comme Chamonix, Bonifacio ou l’agglomération du Pays basque commencent à restreindre ces constructions. Une prise de conscience tardive qui valide la pertinence d’alternatives comme le house sitting : plutôt que d’artificialiser toujours plus de terres pour des occupations intermittentes, pourquoi ne pas optimiser l’habitat existant par des usages temporaires et mutuellement bénéfiques ?
L’enquête de Reporterre ne fait que confirmer l’urgence de repenser nos modes de voyage vers cette sobriété que nous expérimentons déjà depuis les falaises irlandaises.
**Note** Certains visuels illustrant cette page ont été créés avec l’aide d’intelligence artificielle à partir de descriptions détaillées, puis sélectionnés et optimisés pour leur pertinence éditoriale.





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